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Commentaires de l’arrêté du 19 décembre 2023 relatif aux modalités de mise en œuvre de la procédure de signalement

lundi 11 mars 2024

Cet arrêté était très attendu, et Espac’EPLE vous propose une vision approfondie des enjeux et du dispositif de signalement, crucial pour les agents comptables.

Cet article de fond est légitimement assez long. Suffisamment pour justifier que nous ne conservons qu’une petite moitié ci-dessous. Nous publierons une infographie dans les jours qui viennent.

Pour rappel, vous êtes libres d’utiliser les informations de cet article, sous votre entière la responsabilité.

Un arrêté attendu… pourquoi ?

Le code des juridictions financières

L’alinéa 1er de l’article L.131-7 du code des juridictions financières (CJF) introduit la possibilité pour le comptable de signaler à l’ordonnateur toute opération susceptible de relever d’une infraction sanctionnée par le juge financier : « Dans les conditions prévues par décret, le comptable peut signaler à l’ordonnateur toute opération qui serait de nature à relever des infractions prévues à l’article L. 131-9 » c’est-à-dire «  les infractions aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’établissement dont il assure la comptabilité  ».

Le décret GBCP

L’article 38 du décret GBCP modifié prévoit que « L’ordonnateur auquel sont signalés des faits ne motivant pas la suspension de paiement mais susceptibles de constituer une infraction au sens de l’article L. 131-9 du code des juridictions financières informe le comptable public à l’origine de ce signalement des suites qu’il donne à ce dernier dans des conditions fixées par arrêté du ministre chargé du budget. »

L’arrêté dont il est question à l’article 38 du décret GBCP a été publié le 19 décembre dernier, et apporte des précisions sur les modalités du signalement du comptable à l’ordonnateur.

Que dit l’arrêté, ou comment faire un signalement ?

« Le signalement prévu au premier alinéa de l’article L.131-7 du code des juridictions financières est adressé par écrit signé du comptable à l’ordonnateur. Le signalement est motivé. Il se réfère expressément au présent arrêté et comprend notamment une description de l’opération en cause et un rappel de la règle de droit à laquelle l’opération semble contrevenir. » Il est appuyé, le cas échéant, des pièces de toute nature étayant les faits.

Ce signalement peut comporter des propositions de mesures correctives concernant l’opération visée par le signalement, ou pour des opérations ultérieures de même nature.

Quels sont les autres destinataires du signalement ?

Concomitamment à la communication prévue à l’article 1er, le comptable public adresse une copie du signalement aux autorités suivantes : « - pour les agents comptables d’établissements publics locaux d’enseignement relevant du ministère de l’Éducation nationale (…) au recteur d’académie. »

L’importance de la qualité du signalement ?

À noter que dans le cadre de la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics, le signalement devient une pièce du dossier en cas de procédure engagée devant la Cour des Comptes. Par ailleurs, la transmission à l’autorité de tutelle n’est pas neutre, et incite le recteur à prendre position.

En effet, l’article L131-9 du CJF alinéa 2 précise que « Les autorités de tutelle de ces collectivités, établissements ou organismes, lorsqu’elles ont approuvé les faits mentionnés au premier alinéa, sont passibles des mêmes sanctions. »

Reste à savoir si l’absence de réaction de ces autorités (cas le plus probable, au moins selon le vécu de notre profession de longue date) peut-être assimilable à une approbation des faits. Cette hypothèse est cependant hasardeuse, pour l’instant nous l’excluons du champ de l’analyse.

Les infractions concernées

Le cadre général

L’arrêté nous invite à considérer la procédure de signalement comme relevant exclusivement des pratiques susceptibles de relever de la Cour des Comptes. Il s’agit pour le comptable d’attirer l’attention de l’ordonnateur sur des dérives de gestion. Ainsi, le signalement doit s’exercer en présence de cas graves et manifestes d’irrégularités de gestion.

Typologie des infractions

Il faut désormais distinguer plusieurs natures d’infractions : l’infraction dite « générique » posée par l’article L131-9 du code des juridictions financières qui nous intéresse en premier lieu et les infractions dites "spécifiques" (articles L131-11 ; L131-12 ; L131-13 et L131-15 du CJF) ou "formelles" (article L131-13 du CJF)

Les infractions formelles ne sont pas pénalement qualifiables mais certaines infractions spécifiques constituent un délit à commencer par la gestion de fait. A noter que si pour la cour des comptes, le critère prédominant pour caractériser la faute de gestion doit être désormais le préjudice financier (ou son risque avéré), la notion de préjudice ou de faute grave n’a aucune incidence pour la juridiction pénale. Ainsi, la "titrisation" d’une recette non due à l’EPLE pourra être qualifiée de concussion sans pour autant qu’il n’y ait de préjudice pour l’établissement. De même, un avantage injustifié pourra être requalifié de favoritisme ou de prise illégale d’intérêt même si les montants ne sont pas significatifs. Enfin la gestion de fait qui constitue déjà un délit en soi pourra être possiblement doublée d’une qualification de détournement de fonds (ou tentative).

D’autres cas

Le signalement peut aussi s’exercer à l’égard de faits qui ne sont pas directement passible d’une sanction juridictionnelle financière mais d’une intervention de l’État de nature plus administrative, notamment celle du préfet (et par délégation, du recteur) en charge du contrôle budgétaire. Exemples : non-respect des règles et procédures d’adoption des budgets et des comptes, ou non-respect des mesures de redressement arrêtées par le préfet ou son délégataire dans le cadre du contrôle budgétaire.

Quelles infractions relèvent du signalement selon les modalités définies par le présent arrêté ?

On peut citer, parmi les infractions relevant du signalement :

  • le non-respect des règles et procédures de passation de marchés publics
  • l’inexécution d’une décision de justice ou de liquidation d’astreintes
  • le non-respect des règles et des procédures de gestion des ressources humaines à incidence financière
  • le non-respect des règles et procédures de gestion patrimoniale, et plus généralement du non-respect des instructions budgétaires et comptables ou du code de l’Éducation, dans les domaines ou autorisations à caractère financier. L’illustration la plus courante étant ici l’engagement de dépenses sans en avoir le pouvoir ou sans délégation de signature

Concernant les dérives de gestion, on peut citer :

  • la dissimulation d’un dépassement de crédits
  • l’octroi d’un avantage injustifié (mais limité par la nécessité d’établir un intérêt personnel direct ou indirect)
  • l’émission abusive d’ordre de réquisition
  • la réalisation d’opérations financières n’ayant pas d’intérêt pour l’EPLE, ou en dehors de ses compétences (principe de spécialité)
  • l’absence d’émission d’un titre de recette pour une créance certaine, liquide et exigible
  • le refus de comptabiliser les créances irrécouvrables en non-valeur
  • la non comptabilisation en charges à payer des factures en instance à la clôture de l’exercice
  • et bien entendu la gestion de fait

Plus généralement, tout agissement manifestement incompatible avec les intérêts de l’établissement, par des carences graves dans les contrôles ou par des omissions ou négligences répétées dans le pilotage budgétaire et financier de l’établissement ; ou encore les agissements susceptibles d’entrainer la condamnation de l’établissement à une astreinte ou amende, méritent d’être signalés.

Le positionnement du comptable

Néanmoins, le signalement ne doit pas être un moyen pour le comptable de s’immiscer dans l’appréciation de la qualité de la gestion, ni dans l’appréciation du caractère nécessaire ou non d’une dépense. Le comptable n’est jamais juge de l’opportunité (cf. infra).

Les dérives de gestion aussi concernées

Pour autant, l’obligation d’informer le supérieur hiérarchique ne peut pas non plus être négligée, en présence d’une anomalie significative dans la gestion de l’EPLE, susceptible d’entraîner un préjudice. Il peut s’agir, par exemple, de dépenses ayant un caractère manifestement « somptuaire », même si aucune irrégularité juridique n’est identifiée par ailleurs. En effet, cela peut constituer un indice qui, venant possiblement s’ajouter à d’autres signalés antérieurement ou postérieurement, constitueront un faisceau concordant permettant la mise au jour d’autres atteintes aux obligations budgétaires ou comptables.

Quid du devoir d’alerte du comptable par rapport à la procédure de signalement ?

Cet arrêté, s’il vient expliciter la procédure de signalement, n’est pas exclusif du devoir d’alerte du comptable.

Le signalement tel que défini ici n’est qu’une modalité du devoir d’alerte, il ne couvre pas l’intégralité du champ. Ce dernier est bien plus vaste puisqu’il ne se limite pas aux infractions aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’établissement rattaché.

La suite dans le document ci-dessous.

Commentaires d’Espac’EPLE sur l’arrêté du 19 décembre 2023
Vincent Petitgenay pour Espac’EPLE