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Commentaires sur l’arrêté du 18 décembre 2023

Prise en charge par l’État des déficits résultants exclusivement des fautes et erreurs des comptables de l’État

vendredi 1er mars 2024

L’arrêté du 18 décembre 2023 concerne la procédure de prise en charge du déficit d’un agent comptable.
C’est donc un texte d’importance pour les agents comptables d’EPLE. Il était donc logique qu’Espac’EPLE apporte un commentaire sur cet arrêté.

Cet arrêté a été pris afin de compléter l’article 32 du décret n°2022-1605 du 22 décembre 2022 en précisant la procédure de demande prise en charge du déficit par l’État en fonction de deux montants plafonds :

  • Pour les déficits inférieurs ou égaux à 200 000 € : demande préalable de l’ordonnateur de l’organisme public local concerné, auprès du directeur régional ou départemental des finances publiques
  • Pour les déficits inférieurs à 5 000 €, information du DRFiP ou DDFiP par le comptable assignataire concerné sans demande préalable de l’ordonnateur.

PREAMBULE

Il n’est pas inutile de rappeler qui sont les comptables publics de l’État qui entrent dans le champ d’application de l’arrêté. « Au sens de l’article 32 de l’ordonnance n° 2022-408 du 23 mars 2022 relative à la responsabilité financière des gestionnaires publiques, sont considérés comme comptables publics de l’État :

  1. Les postes comptables des services déconcentrés de la direction générale des finances publiques assurant le service public comptable des établissements publics de santé ou médico-sociaux ou des collectivités territoriales ou de leurs établissements publics ou de leurs groupements ;
  2. Les agences comptables des établissements publics locaux d’enseignement relevant du ministre chargé de l’éducation nationale ;
  3. Les agences comptables des établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles relevant du ministre chargé de l’agriculture ;
  4. Les agences comptables des établissements publics locaux d’enseignement maritime et aquacole relevant du ministre chargé de la mer ; »

Les déficits pouvant être pris en charge par l’État

L’arrêté fait mention des types de déficit pouvant être pris en charge par l’État définis par le décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012 modifié par décret n°2022-1605 du 22 décembre 2022 portant application de l’ordonnance n°2022-408 du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics et modifiant diverses dispositions relatives aux comptables publics – art 32.

Ces déficits pouvant être pris en charge par l’État sont définis comme « toute insuffisance en monnaie ou en valeur dans la caisse publique ayant fait l’objet d’une constatation matérielle, y compris à partir des documents de comptabilité, résultant :

  1. D’une perte de valeur dont le comptable a la garde, sous réserve, le cas échéant, des dispositions de l’article L.1113-1 du code de la santé publique.
  2. De manquants ou d’erreurs de caisse notamment ceux liés à l’encaissement de fausse monnaie »
    Il peut donc s’agir de la perte de valeur des stocks non justifiés au vu du premier alinéa. La faute ou l’erreur de l’agent comptable dans ce cas pourrait être appréciée à l’aune du contrôle interne comptable mis en place.

Au regard de l’alinéa 2, nous pouvons nous interroger sur l’extension de la faute ou de l’erreur des agents publics autorisés à manier les fonds publics par délégation du comptable assignataire (les mandataires) ou sous son contrôle à savoir les régisseurs.

La distinction mandataire/régisseur dans le cadre de l’arrêté

Les régisseurs et mandataires sont tenus de fournir au comptable public tout document ou renseignement se rapportant aux opérations de caisse dont ils sont chargés, puisque les opérations sont réalisées pour son compte, ou ont vocation à être intégrées dans sa comptabilité, au même titre que celles qu’il a personnellement effectuées (articles 22 et 22-1 du décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012 Gestion Budgétaire et comptable Publique GBCP). À noter que la responsabilité du comptable sera recherchée s’il n’a pas mis en œuvre des modalités de contrôle interne ou les contrôles prévus par les articles 19 et 20 du décret (GBCP).

Les mandataires

Les mandataires sont les délégataires du comptable et à ce titre ce dernier reste pleinement responsable des opérations qu’ils effectuent directement en son nom (article 16 GBCP).

Les régisseurs

À l’inverse, la création de régie est historiquement un mode de fonctionnement dérogatoire au principe d’exclusivité de maniement de deniers publics par le comptable. Le régisseur n’a pas la qualité de comptable public. Toutefois, il est habilité à effectuer certaines opérations normalement réservées à l’agent comptable, opérations dont il est responsable dans les mêmes conditions que le comptable public. Ce dernier ne donne « que » son agrément à la nomination du régisseur mais ne peut s’opposer à la création de régie.

La responsabilité et les contrôles du régisseur

Le caractère dérogatoire du dispositif suffit à distinguer le régisseur et le comptable, dont la responsabilité ne peut être engagée en raison de la gestion de ses régisseurs que pour défaut de contrôle des opérations des régisseurs, lors de leur intégration dans sa comptabilité soit au moment de la prise en charge.

En cas de refus de prise en charge, la responsabilité incombe au régisseur.

Les contrôles que doivent exercer les régisseurs (avances et recettes) sont donc identiques à ceux prévus pour les comptables publics à l’article 19 du décret GBCP (à l’exception du contrôle de la disponibilité des crédits).

Qui comble le déficit du régisseur ?

Les manquants dans la caisse du régisseur n’entrent donc pas dans le cadre d’application de l’arrêté du 18/12/2023 pour la demande de prise en charge des déficits. Le cas échéant, le déficit pourra être comblé par l’EPLE sur proposition de l’ordonnateur et après délibération du conseil d’administration (il s’agit là du plus probable, et règlementairement du plus évident, mais nous sommes en attente d’une note de service de la DAF sur le sujet).

L’organisation des agences comptables

Au quotidien, des opérations d’encaissement et de paiement peuvent être réalisées soit directement en agence comptable soit dans l’EPLE rattaché. Dans le premier cas, l’agent comptable peut nommer un mandataire en qualité de caissier possédant sa délégation de signature. Dans le second cas, c’est la régie instituée et le régisseur nommé qui assureront les opérations définies et préalablement encadrées.

Le choix pourra s’opérer en fonction de l’éloignement géographique de l’établissement et des ressources humaines à disposition pour assurer le bon fonctionnement des services financiers. Le caissier et le régisseur peuvent tous deux se voir attribuer une carte bancaire. Le premier sur le compte établissement tenu par l’agent comptable, le second sur un compte régisseur.

Pour les chèques bancaires encaissés par un régisseur, ceux-ci doivent être émis à l’ordre du régisseur es qualité. C’est pourquoi, le ministère préconise plutôt la solution du mandataire-caissier pour l’encaissement des chèques.

L’impact d’Op@le

Dans le cadre du déploiement d’Op@le, cette distinction impacte directement les choix d’organisation d’une agence comptable sur les modalités de gestion des encaissements. Choisir de mandater les secrétaires généraux pour l’encaissement des chèques et espèces in situ, ou réaliser les opérations en agence comptable, maintenir le dispositif de régies ou non, définira le cadre juridique applicable à l’apurement des déficits constatés.

Quel régime pour l’apurement des déficits des agents comptables d’EPLE ?

L’arrêté du 18/12/2023 rappelle que l’agent comptable d’EPLE est bien un comptable de l’État, et non un personnel de l’EPLE sous l’autorité de l’ordonnateur. Dès lors pour un manquant dans la caisse du comptable ou du caissier, l’apurement se fera par l’État. Pour un manquant dans la caisse du régisseur de l’EPLE ou l’un de ses mandataires (par exemple un professeur dans le cadre d’un voyage scolaire) l’apurement ne pourra se faire que par l’EPLE. L’arrêté ne dégage pas pour autant le comptable de toute responsabilité sanctionnable.

Du régime de responsabilité de la faute ou erreur de l’agent comptable

Rappel : Le régime de responsabilité financière "unifié" ou Responsabilité des Gestionnaires Publics (RGP) mis en œuvre depuis le 1er janvier 2023 met fin au principe de responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables publics.

À la place, il prévoit un régime de sanctions pour "les infractions aux règles relatives à l’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens de l’État, des collectivités, établissements et organismes soumis au contrôle des juridictions financières, constitutives d’une faute grave ayant causé un préjudice financier significatif". Quant aux "fautes purement formelles ou procédurales", elles devront "relever d’une logique de responsabilité managériale" (réponse ministérielle QE, n° 01540 de M. Pierre-Antoine LEVI, Rép. Min. JO Sénat, 15 sept. 2022, p. 4462).

Le cas de la responsabilité managériale

Concernant la responsabilité managériale, elle doit en principe être mise en cause par l’autorité de nomination à savoir pour les comptables d’EPLE, le recteur.

Cela fait écho à une revendication ancienne de notre association qui souhaite que chaque nomination d’agent comptable d’EPLE soit assortie de la remise d’une fiche de poste personnalisée avec des objectifs affichés de gestion de la structure confiée et que dès lors l’évaluation du comptable relève du recteur ou, par délégation, du secrétaire général d’académie.

La responsabilité des gestionnaires publics

Dans tous les cas de figure, les procédures engagées devant une autorité administrative ou une juridiction financière ne soustraient pas les gestionnaires publics mis en cause aux procédures pénales (cas de malversation, détournement, usage de faux par exemple). La décision d’un Directeur des Finances Publiques d’apurer un déficit ne consacre pas un blanc-seing à l’agent comptable, au régisseur, ou ordonnateur mis en cause. (Application de l’article 40 du code de procédure pénale, cf. aussi le commentaire sur l’arrêté du 19 décembre 2023 sur les signalements des comptables).

A ce sujet l’ordonnance du 23 décembre 2022 sur la RGP modifie l’article 173-2 du décret du 7 novembre 2012 disposant que « la prise en charge du déficit n’est pas intégrale lorsque le comptable ou un de ses agents est condamné conjointement avec un ou des gestionnaires publics de l’organisme public auprès duquel est rattaché le service public comptable qu’il dirige. Il en va de même, lorsque la décision définitive reconnaît que les agissements d’une personne mentionnée à l’article L. 131-2 du code des juridictions financières ont contribué à la commission de l’infraction au titre de laquelle le comptable ou un de ses agents a été condamné. L’État prend partiellement en charge ces déficits en fonction du quantum de la responsabilité du comptable public qui résulte de la décision définitive de la Cour des comptes, de la Cour d’appel financière ou du Conseil d’État. »

Deux procédures selon le montant du déficit

L’arrêté du 18/12/2023 précise le cadre de prise en charge des déficits à partir de deux seuils qui prévoient deux procédures distinctes : une que l’on pourrait qualifiée d’ « allégée » pour les montants inférieurs à 5 000 €, et une « engageante » pour l’ordonnateur initiateur de la demande pour des montants inférieurs à 200 000 €.

Des questions en suspens

Néanmoins, au regard du décret du 22/12/2022 (RGP) et en l’absence de jurisprudence récente et précise sur le sujet, l’arrêté soulève plusieurs questions :

  • L’application de seuils différents doit-elle conduire à considérer le seuil de 5 000€ comme montant minimum de préjudice significatif pouvant entraîner la responsabilité d’un gestionnaire public ?
  • Quelle organisation la plus sécurisée et sécurisante pour le maniement des fonds en EPLE : mandat ou régie ?
  • Quid de l’application du régime d’apurement aux régisseurs ?